La polémique enfle mardi 23 mars après l'adoption en conseil municipal, hier, d'une subvention de plus de 2,5 millions d'euros pour la construction d'une mosquée de Millî Görüs, association réputée proche de la Turquie. Un choix assumé par la municipalité écologiste de Strasbourg.
La ville de Strasbourg devrait-elle s’abstenir de financer une partie du chantier de la mosquée Eyyub Sultan, dans le quartier de la Meinau? Par 42 voix contre 7, son conseil municipal a approuvé lundi 22 mars une délibération approuvant "le principe d'une subvention" de 2,563 millions d'euros "pour la construction" de ce lieu de culte dont le budget total s’élève à 32 millions d’euros, dont un peu plus de 25,6 millions pour la mosquée elle-même.
Cette subvention représente "10% du montant des travaux", a relevé la maire EELV de Strasbourg, Jeanne Barseghian, lors du vote, dont la majorité affirme qu'il s'agit d'un pourcentage habituel pour le subventionnement des lieux de culte dans la capitale alsacienne.
Problème, l’association islamique Millî Görüs, porteuse du projet, est pointée du doigt pour entretenir des liens politiques avec le gouvernement de la Turquie. Même si elle n’est pas directement liée à l’État turc et ne bénéficie d’aucun financement de la part d’Ankara, il lui ait également reproché d’avoir refusé de signer la "Charte des principes pour l'islam de France", texte promu par Emmanuel Macron dans sa lutte contre le séparatisme, mais aussi d’avoir contribué au retrait du pays de la convention d’Istanbul, "accusée de détruire la cellule familiale et d’encourager l’homosexualité." La Turquie a en effet annoncé se retirer, dans la nuit du vendredi 19 au samedi 20 mars, de la convention européenne pour la lutte contre les violences faites aux femmes.
Indignation et colère
Dans ce contexte, la décision municipale soulève la polémique jusqu’au sommet de l’Etat. "La mairie verte de Strasbourg finance une mosquée soutenue par une fédération qui a refusé de signer la charte des principes de l'islam de France et qui défend un islam politique", a réagi Gérald Damanin, dans un tweet publié dans la nuit de lundi à mardi.
La mairie verte de Strasbourg finance une mosquée soutenue par une fédération qui a refusé de signer la charte des principes de l’islam de France et qui défend un islam politique. Vivement que tout le monde ouvre les yeux et que la loi séparatisme soit bientôt votée et promulguée
— Gérald DARMANIN (@GDarmanin) March 22, 2021
En fin de matinée, le ministre de l’Intérieur n’a pas hésité à hausser le ton en annonçant, toujours sur Twitter, avoir demandé à la préfète de la région Grand Est et du Bas-Rhin de saisir la justice administrative de cette délibération du conseil municipal strasbourgeois. "Même si la loi séparatisme n'est pas encore adoptée, devant la gravité des décisions prises par la municipalité verte de Strasbourg, j'ai demandé" à la préfète "de déférer la délibération d'octroi de subvention devant le juge administratif", a écrit M. Darmanin.
La contestation de l’opposition
Même colère du côté d’une partie de l’opposition strasbourgeoise. Le LR Jean-Philippe Vetter, qui a voté contre, réclame de la transparence. "Cela pose des interrogations. Qui finance cette mosquée ? Quelles sont ses relations avec d’éventuels partis politiques en Turquie ? … Il n’y a aucune garantie, je demande donc la suspension de cette subvention", assène-t-il ce mardi, rappelant que les travaux ont commencé avant de faire la demande de subvention. "Aucune association n’a utilisé cette technique jusqu’à présent", rappelle-t-il.
Le groupe du LREM Alain Fontanel n'a quant à lui pas pris part au vote tout comme celui de l'ex-maire PS de Strasbourg et ancienne ministre, Catherine Trautmann.
La municipalité assume mais exige la transparence
Face à la contestation, Jeanne Barseghian et Jean Werlen, son conseiller municipal délégué aux relations avec les cultes ont tenu une conférence de presse dans l’après-midi.
"J'ai été très surprise du fait que le ministre de l'Intérieur s'adresse à moi par voie de tweet (...), d'autant plus que ce projet de mosquée (...) est un projet ancien, il ne date pas de ma mandature" mais "d'une dizaine d'années", a entamé l’édile. "Gérald Darmanin pose un certain nombre de questions. Est-ce que ça signifie qu’il s’oppose ou qu’il remet en cause le droit local et le Concordat ? Dans ce cas-là il faut le dire clairement ", s’est-elle également exprimée, avant de concéder avoir demandé des éclaircissements aux porteurs de projet. "Le versement effectif de la subvention se fera lors d'un vote ultérieur, en le conditionnement à un plan de financement transparent et consolidé."
L’association réfute
Au cœur de la tourmente, Millî Görüs, qui a démarché- en vain pour l’instant - le Koweït et le Qatar, pour tenter de financer son édifice dont la première pierre a été posée en 2017 se défend.
"Nous n’avons aucun lien politique avec personne", martèle son président à Strasbourg, Eyüp Sahin, par ailleurs président du Conseil régional du culte musulman. "Ceux qui nous critiquent sont dans l’ignorance" affirme-t-il encore, rappelant que jusqu’à aujourd’hui la mosquée a été financée avec des dons de fidèles. "La subvention locale est bienvenue", d’autant plus que le chantier a été à l’arrêt pendant 18 mois, faute de financement.
L’association s’apprête, par ailleurs, à solliciter l’aide de la Collectivité européenne d’Alsace et de la région Grand Est, à hauteur de 8% chacune. Le chantier devrait s’achever d’ici trois ans. Une fois achevé, la Grande Mosquée Eyyub Sultan sera le plus grand complexe islamique d’Europe continentale avec ses 16 500 m².